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nicolavignon.over-blog.com

Des écrits poétiques et littéraires agrémentés de photos ou de tableaux et aquarelles... le monde sensible transfiguré par les mots et les couleurs.

Le Tiroir à Photos (5)

Publié le 25 Août 2014 par Nicole Fack in Récit

LA DÉTRESSE

C'était une toute petite photo en noir et blanc, un tirage très contrasté qui nous surprenait toujours quand, au hasard de nos investigations, nous l'exhumions tout à coup. Un portrait. Celui d'une femme, une femme aux traits tirés, aux yeux agrandis, aux joues creusées, aux cheveux sans énergie. Cette femme nous contemplait avec une sorte de fièvre dans le regard. Sa maigreur évoquait d'ailleurs, une éventuelle maladie. Je me souviens d'avoir été souvent captivée par ces yeux-là. Hypnotisée, même, comme lorsqu'on se trouve devant une énigme. Un soir, j'étais encore enfant, je tenais entre pouce et index ce petit portrait si inquiétant, les yeux plongés dans ce regard à la fois familier et étrange, quand je perçus dans mon dos, un profond soupir. Il émanait de ma mère.

-Tu ne reconnais pas cette pauvre femme, pas ?

Ma foi non, je ne pouvais rattacher ce visage à aucune des personnes de moi connues, même si ce regard ne m'était pas totalement étranger.

-C'est après ta naissance, dit-elle, quand nous sommes rentrés dans les Ardennes, alors que la pénurie sévissait, que le travail était rare, qu'on avait encore des tickets de rationnement. Ton père mal payé, moi à la maison, trois enfants à nourrir, bientôt quatre, des restrictions alimentaires... une mère ne peut pas supporter que ses enfants aient faim. Je vous donnais ma part. De toute façon, je n'avais pas faim. L'angoisse du lendemain me nourrissait.

Je savais bien que je connaissais ces yeux-là. Mais je les connaissais tendres, pleins d'humour, chaleureux, alors que là, ils étaient angoissés, aigus, comme égarés. Je dois avouer que jamais, au fil des années, je n'ai regardé ce portrait en l'identifiant du premier coup à celui de ma mère. A chaque fois, j'avais d'abord une fascination pour cette étrangère troublante et inquiète qui semblait me poser toujours et toujours cette même question:

-Tu ne reconnais pas cette pauvre femme?

Le Tiroir à Photos (5)
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