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nicolavignon.over-blog.com

Des écrits poétiques et littéraires agrémentés de photos ou de tableaux et aquarelles... le monde sensible transfiguré par les mots et les couleurs.

Rue Banasterie (Philonarde, toujours...)

Publié le 12 Juillet 2014 par Nicole Fack in Récit

Elle se dirige vers le Nord, une rue presque droite. Le presque est important. Quand on l'emprunte, venant de la place Saint Pierre, elle s'amuse à guetter les tours du Palais des Papes qui, de temps en temps, se faufilent entre deux maisons. Le Palais est tout près, mais il faut se donner du mal pour l'apercevoir. C'est une rue étroite, bien-sûr, comme toutes celles qui l'entourent, fraîche en été, quand chacun cherche à fuir le soleil trop agressif, elle peut devenir glaciale en hiver quand y souffle le mistral.

C'est en sortant d'Utopia où elle avait revu avec la jubilation de qui retombe en enfance "le Voyage au Centre de la Terre", que tout imprégnée encore de cette aventure formidable, elle croisa le regard brun d'un jeune homme marchant en sens inverse. Elle se figea. Quelque chose clochait: le costume!.. Dix septième, dix huitième siècle ? Elle ne savait trop, mais c'était plus qu'un vêtement démodé, un costume anachronique. De plus, le déguisé parlait tout seul. J'y suis, se dit-elle, le festival approche. il doit sortir d'une répétition ou alors, il s'y rend en remâchant son texte.

Mais brusquement, la rue s'anima. De toutes les maisons, sortaient des gens vêtus à la même mode que celui qu'elle avait pris pour un acteur. Philonarde, encore une fois, se trouvait transportée. Elle s'appuya au mur et attendit de comprendre. Elle écoutait les conversations banales, les salutations échangées par ce petit peuple actif. De temps en temps passait une voiture à chevaux qui avait bien du mal à se frayer un passage. Philonarde sourit: on croit que les temps changent...

Soudain, d'un hôtel particulier, sortit un couple dont la mise disait assez qu'il n'appartenait pas à l'univers laborieux. Elle, était jeune, fraîche dans sa robe ornée de bouquets de violettes et que gonflaient de nombreux jupons empesés. Lui, très élégant, portait redingote de brocard et hauts de chausses de couleur crème. les souliers à talons étaient ornées de boucles d'ivoire. le raffinement de ce ton sur ton prouvait que cet homme-là recherchait la distinction dans l'harmonie plutôt que dans le tapage. Derrière ce couple si ravissant, venait un serviteur armé d'une énorme ombrelle faite de plumes d'autruche assemblées que la brise soulevait légèrement. Tout le monde s'était écarté pour les considérer avec intérêt. Chacun se collait aux murs pour faire place au drôle de trio. Quelques femme esquissaient des révérences et les hommes ôtaient leurs bonnet.

-Des nobles, sans doute, se dit Philonarde. Mais quel drôle d'équipage. Je pensais que ce genre de serviteur n'existait que dans les pays lointains.

-Ils en reviennent, justement, dit le jeune homme tout près d'elle. Elle avait parlé tout haut ! Le pseudo comédien poursuivit:

-N'avez-vous point entendu parler du Banat? Cela se trouve, je crois, dans une contrée sauvage de l'autre côté de la mer. Il y a eu une guerre là-bas, à cause de ces sacrés Autrichiens qui, ayant soumis le pays, s'y conduisaient si mal qu'une révolte a éclaté. Notre roi a envoyé des efforts à son cousin d'Autriche pour mâter la rébellion. Le seigneur que vos voyez-là en était et il a, comme d'autres, ramené ce petit souvenir : un serviteur qui ne lui coûte pas grand-chose, n'ayant ni femme ni enfant... Philonarde était choquée, mais n'en fit rien paraître.

-Et ils sont nombreux, les serviteurs venus comme ça de loin pour suivre nos seigneurs ? demanda-t-elle.

-Ma foi, je crois bien, répondit le charmant jeune homme aux yeux profonds. Dans cette rue, plusieurs messieurs étaient de l'aventure et ils en ont ramené, des gens du Banat ! toute une Banasterie, comme nous disons entre nous !

Rue Banasterie (Philonarde, toujours...)
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