Ah, mon père !

C'était vrai. Deupis mon engagement dans la lutte pour la Vérité, je n'avais plus eu envie de Mado, ni de personne. Je n'y pensais plus jamais, sans doute parce que j'avais beaucoup d'autres choses à éculubrer. Voyant la naïveté de ma chère Marielle, je repensais à mon prétendu père biologique, cet imbécile, et je la plaignais, Maman, d'avoir dû s'offrir à ce type pour accomplir les projets de Dieu. Dans mon tête à tête avec lui, le soir, je lui en fis reproche, très respectueusement: Tu pousses le bouchon un peu loin, là... Tu n'as pas eu peur qu'il me transmette sa connerie, ne serait-ce qu'un peu? la réponse, comme toujours, fut sibylline: je devais me soumettre à mon Destin, sans chercher à comprendre. L'avenir du genre humain dépendait de moi, de mon acceptation, de ma soumission à Sa volonté... soit !

Le lendemain, Jules vint me voir, tout excité: viens, on va faire un tour, j'ai quelque chose à te dire. Le ton de comploteur me fit sourire, mais je le suivis. Ce n'est qu'arrivé au bord de la rivière, loin d'éventuelles oreilles indiscrètes, qu'il consentit à m'expliquer:

-Ça y est, mon vieux, j'ai réussi à m'infiltrer dans le système informatique de la banque de compensation ! Ne me regarde pas comme ça, tu devrais savoir que c'est le le système par lequel les banques communiquent entre elles. Si je saborde le système interbancaire, tout le capitalisme s'écroule et avec lui, la société de consommation. C'est pas rien, ça. Rien à voir avec la mise à sac d'une boutique merdique !

-Nom d'une petite pomme de terre ! m'écriais-je - je ne disais plus nom de Dieu, depuis que je me savais son fils - tu es sûr de ce que tu dis ?

-Absolument ! J'ai tout vérifié, mes connexions sont bonnes, j'ai même bidouillé des trucs pour voir.

-Quoi, par exemple ?

-J'ai fait verser sur ton compte au Crédit Lyonnais, trois mille euros que j'ai pris dans la poche de Tapie, pas mal, hein ?

-Tu es dingue ! On a dit qu'on n'était pas des voleurs, tu nous mets en danger, il faut arrêter ça tout de suite. Retourne à ton ordinateur et efface cette opération idiote.

-Bon, bon, dit-il, j'annule... je pensais te faire plaisir. Après tout, trois mille euros, pour lui, ce n'est rien, et cela pourrait nous être bien utile pour mener nos actions.

-Arrête, je te dis. Nous devons être irréprochables, pas d'enrichissement. Notre action doit être exemplaire pour être efficace et ramener les humains dans la voie de la Vérité. Explique-moi précisément ce qui se passera si tu attaques le système interbancaire.

-C'est simple: j'envoie des instructions contradictoires, de telle sorte que les ordinateurs des différentes banques se mettent à tourner comme des dingues, sans jamais trouver de solution: prêter ou pas, investir ou pas, spéculer, mais où ?.. Tu sais qu'aujourd'hui, la bourse est aux mains des machines et non des hommes. Les hommes ramassent les bénéfices, ou les faillites, mais ce sont les machines interconnectées qui spéculent. Si elles doivent à la fois acheter et vendre la même action, c'est la panique et tout se bloque.

-Le versement des salaires aussi?

-Oui, bien sûr, mais c'est justement ce qui permettra de sortir des hypermarchés et de revenir aux vraies valeurs. Chacun offrira aux autres ce qu'il sait faire, ce qu'il fabrique, ce que produit son champ et renoncera à la folie de consommation qui nous conduit droit dans le mur. Un seul mot de toi et je lance l'opération. Qu'en dis-tu?

-Il faut que je réfléchisse. Si nous passons à l'action, il faut le faire publiquement sinon, ça restera du pur vandalisme. Ton entrée en action ne peut se faire qu'à la suite d'une vigoureuse campagne d'information. Tu peux voir de ce côté?

-Evidemment, mais c'est moins drôle que d'attaquer les banques.

-On ne joue pas aux cow-boys, Jules, Notre action doit avoir un cadre honnête, elle vise le retour de la Vérité sur terre, et la promotion de l'Amour des hommes à travers l'Amour de mon Père. Parlons-en aux camarades, mes disciples, établissons un plan cohérent, ensuite nous passerons à l'action ultime.

Jules était déçu, évidemment, de ne pas faire immédiatement la preuve de ses talents, mais je ne cédai pas. Je voulais que tout le monde prenne conscience de ce qui se jouait, je voulais sauver l'Humanité par l'Amour. Pour cela, il fallait d'abord que tous soient informés. Facebook et les autres réseaux sociaux seraient bien utiles, eux qui usent de petits coeurs et de "j'aime". Pour une fois, ce serait à bon escient !