Ce type est un salaud. Il ne peut pas être mon père. Prétendre que ma douce et naïve Marielle n'était pas vierge, c'est de la pure calomnie. Je le hais ! Evidemment, il a peur que je demande une expertise génétique pour réclamer mon dû, quel con ! J'étais furieux, j'avais envie de vomir dans le bus qui me ramenait à la maison. Si j'osais, je demanderais au chauffeur de s'arrêter de un moment pour me laisser vider le poison qui est entré en moi. Parce que, malgré tout, il m'avait empoisonné, l'imbécile ! Toute la question était de savoir si je devais ou non en parler à Marielle... elle a déjà assez de soucis comme ça. C'est vrai que, quand je disais que j'étais le fils de Dieu, elle avait toujours un petit sourire, je croyais que c'était de la connivence, peut-être que c'était de l'ironie? Je ne pouvais le croire. Tout ça tournait dans ma pauvre tête, j'avais retrouvé mes angoisses d'avant, mes incertitudes. Quel con ! Quel con !
A la maison, je trouvai Joe, assis devant la télé, maman dans la cuisine et mes frères essayant de faire leurs devoirs , à plat ventre sur le tapis. Ça allait encore être fait n'importe comment. Ils ne fréquentaient plus les voyous, mais ils avaient encore du mal à se mettre dans la peau de bons élèves. C'est la fin de l'année, on ne fait plus grand-chose... Heureusement que j'étais là, parce que Joe s'en moquait totalement. Il m'alpagua pourtant, l'indifférent:
-Dis-voir, toi, ça va durer longtemps ces histoires de trouble à l'ordre public ? Les flics vont finir par devenir nerveux, si tu continues tes fantaisies. On est des petites gens, nous , personne n'interviendra en notre faveur pour empêcher qu'on t'arrête, tu le sais, ça ?... Tu seras bientôt majeur, alors ils te condamneront plus sévèrement que les voleurs de milliards, ceux qui ont des cols blancs. Tu ne joues pas dans la même cour, méfie-toi. Et pense que nous, nous n'avons rien d'autre que notre honneur.
Ça, alors, j'étais baba ! Jamais Joe n'avait fait preuve d'une telle sollicitude, ni avec moi, ni avec mes frères. Quelque part, c'était une sorte de miracle: non seulement, depuis quelques temps, il rentrait tous les jours à la maison après le boulot, non seulement il avait freiné sur le consommation de bière, mais voilà qu'il se faisait du mourront pour les gosses; encore un peu, il me fabriquait un nouveau petit marteau à ma main, comme quand j'étais môme ! T'en fais pas, je lui ai dit, le Destin s'accomplira. Il allait reprendre sa harangue, quand Marielle est arrivée pour mettre la table:
-Aide-moi, fiston, dit-elle. J'obéis, comme toujours quand il y avait un coup de main à donner. Maman, qui n'avait pas de fille, continuait à me prendre pour sa fille aînée... cela ne me gênait pas, mon coeur était plein d'amour pour mes semblables. Elle poursuivit: tu rentres bien tard, tu étais avec tes amis à fomenter votre prochaine action?
-Non, j'étais à Villeneuve, j'ai pris le bus...
-Et qu'est-ce que tu faisais à Villeneuve? Il n'y a plus personne, là-bas depuis que tes grands-parents sont morts. Tu as une copine?
-Non, Maman, les copines, dans le sens où tu l'entends, ça ne m'intéresse pas. Non, je faisais une sorte d'enquête, je te raconterai...