Ah, mon père!

2) J'étais un petit gars joyeux, toujours prêt à rendre service, toujours prêt à entonner une de ces chansons un peu bêtasses qu'on apprend aux enfants dès leur plus jeune âge. Entre Marielle et Joe, j'étais heureux, quoi. C'est la naissance de mon petit frère, alors que j'avais quatre ans - suivie un an plus tard d'une seconde livraison de braillard patenté - qui a sonné l'heure des questions existentielles. Eh oui, que voulez-vous, j'étais un enfant précoce!

L'arrivée d'un enfant, c'est l'occasion pour les voisines, de débarquer avec des petits cadeaux, des vêtements tricotés main, des lapins de laine, des hochets aux couleurs fadasses. C'est aussi l'occasion de visites et de bavardages. Je crois bien que c'est ainsi que j'ai entendu parler de ma naissance, à mots couverts, allusivement, genre: celui-là, au moins, il n'est pas né dans un débarras. ou bien C'est Joe qui va être content d'être père... Les gens bien intentionnés vous ont de ces pieds quand ils les mettent dans le plat ! Bref, comme je le disais, j'ai pour ainsi dire, toujours su que mon père n'était pas mon père. et croyez-mi si vous voulez, ça m'a été longtemps égal. De toute façon, chez nous, l'important, c'est la mère. C'est par elle qu'on appartient ou non à la communauté, et ça, pour sûr, Marielle qui avait accouché dans un cagibi, était Maman, sans aucun doute possible. Et Joe, qui s'était contenté de lui tenir la main et de couper le cordon ombilical avec son couteau suisse, il tenait le second rôle, ce qu'on appelle au théâtre, les utilités.