1)
Je ne me rappelle pas le jour où je l'ai découvert. Je crois que je l'ai toujours su: celui que j'appelais "papa" n'était pas vraiment mon père. Pour mes frères, il n'y avait aucun doute, d'ailleurs, ils lui ressemblaient, petits, ronds, bruns... moi, j'étais grand, plutôt châtain clair, presque blond, mince... bref. Ce n'était pas le charpentier qui avait mis la petite graine. Dommage, parce que je l'aimais bien, le charpentier; il était gentil et il acceptait que je vienne bricoler dans l'atelier pendant qu'il découpait ses troncs immenses, qu'il agençait tenons et mortaises, qu'il clouait. J'avais un petit marteau, juste à ma main. C'est lui qui l'avait fabriqué, juste pour moi, et je l'imitais avec une joie non dissimulée. Lui, il était content que je sois là, avec lui. il disait souvent: quand tes frères seront grands, ils viendront aussi. Mais c'était plus un voeu qu'une certitude. Ces deus-là ont rapidement préféré rôder avec des gars plus ou moins louches dans les rues de la cité. Ils prenaient des coups, parfois. Maman, la douce Marielle, se désespérait tout en soignant leurs écorchures et leurs lèvres tuméfiées. Elle faisait semblant de ne pas comprendre, je crois. Le charpentier, notre, ne faisait pas autre chose.