Je tourne la clenche. Zut ! il a fermé au verrou. c'est incroyable, ça. Non seulement il ne m'accompagne jamais au marché, mais en plus, il s'arrange pour me compliquer la tâche. bon; ne nous énervons pas; posons les paniers pleins de légumes et de fruits odorants, attention de ne pas casser les oeufs bio, étant donné leur prix, j'ai intérêt à ne pas faire l'omelette sur le palier. Enfin la clé, j'ouvre. Du pied, je fais glisser les paniers à l'intérieur. J'entre ; la porte, soumise au courant d'air, claque dans mon dos. je sursaute, je devrais pourtant être habituée... flexion des genoux, pour saisir à nouveau les anses - recommandation du médecin eu égard à mes lombaires problématiques - et mon regard tombe sur un objet gisant sur le parquet du couloir. mes mains, du coup, renoncent aux paniers. Je me redresse et m'avance dans le couloir sombre ; je distingue mal ; pourtant, il me semble bien... je ramasse. C'est bien ça, un flacon de parfum. Qu'est-ce qu'il fait là, ce flacon? je le tourne dans tous les sens : Chanel. je connais la marque, bien sûr ; il m'arrive même de porter Coco ; mais celui-là, je ne le connais pas. enfin, je veux dire que je ne l'ai jamais acheté, on ne me l'a jamais offert, mais il est célèbre: N°5, tout le monde connaît ! Qu'est-ce qu'il fait là, ce parfum? Je tourne doucement le bouchon, comme si je craignais qu'en sorte un diable cornu ou quelque génie malfaisant. je respire. Pas mal, me dis-je, j'aurais dû m'y intéresser plus tôt. c'est un peu moins marqué que Coco et la note fleurie reste discrète, mais on n'est ni dans la banalité, ni dans la surenchère. Décidément, mademoiselle Chanel, c'était la classe ! Mais revenons au fait : que fait sur ce plancher, un flacon de parfum qui ne m'appartient pas, pas plus qu'il n'appartient à Maurice, lequel depuis toujours, ne supporte que l'eau de Cologne Saint-Michel ambrée. Déconcertée, je cherche autour de moi. Evidemment, il n'y a personne.
-Maurice ! j'appelle en vain. Il est sorti, d'où la porte fermée à clé. Je renifle à nouveau : c'est vrai qu'à bien y penser, cette odeur ne m'est pas inconnue. En respirant plus longuement, plus profondément, je provoque dans mon cerveau, le début d'un émoi, comme le soupçon d'une réminiscence, le fantôme imprécis d'un souvenir... une de mes amies se parfumerait-elle au N°5 ? Qui ? ... le salopard, il me trompe, c'est sûr ! et depuis longtemps ! Je comprends pourquoi il ne m'accompagne jamais au marché le dimanche matin. Il la reçoit, pendant que je m'échine à lui fournir des légumes bio qu'il faut aller chercher pour Môssieur auprès du marchand le plus éloigné. Le salopard, je réitère ; et moi qui le croyais écolo ! Ah, il va m'entendre ! ... et pour commencer, je vais les mettre au vide-ordures, ses légumes bio. Bio, mon oeil, et encore, je suis polie. Cette fois, ce n'est pas du N°5 que j'ai dans les narines, c'est de la moutarde !
Des pas dans l'escalier; la clenche qui tourne; la porte s'ouvre. Je prends ma respiration... ce n'est pas lui, c'est son grand ami Gaston. Sourire gêné :
- Ah, tu l'as trouvé, dit-il, ... j'ai dû le faire tombe en sortant !...