C'est drôle de constater comment les femmes qui ont tellement souffert de leur assignation ne sont pas capables de voir à quel point les hommes aussi sont assignés dès leur plus jeune âge. J'ai le souvenir de bébés à qui l'on disait, alors qu'ils étaient encore dans les langes : "un garçon ne pleure pas!" et ce, sur un ton péremptoire. Ces mots prononcés par le papa et réitérés chaque jour pendant des années, seraient ils plus anodins que le fait d'exiger de la retenue de la part des filles ?
Les mères de ma jeunesse disaient : "Rentrez vos poules, je lâche mes coqs" cette phrase assassine n'aurait-elle de conséquences que sur les filles ? les garçons, encouragés à la conquête sexuelle pouvaient-ils ne pas l'entendre ? J'ai souvent constaté que les personnes les plus sexistes étaient les mères elles-mêmes, pourtant victimes polymorphes de la tradition. Rien d'étonnant à cela: elles avaient affronté les préjugés, pourquoi les auraient-elles évités aux autres ? et les pères confirmaient : ils aimaient leurs filles et les protégeaient en les enfermant (si possible) tout en encourageant leurs fils à se montrer dignes des attributs dont Dame Nature leur avait fait cadeau.
Pauvres petites filles assignées au rôle d'épouse et de mère après un passage par celui de proie à forcer, voire à violer. Pauvres petits garçons assignés au rôle de mari et père, pourvoyeur de moyens matériels pour toute la famille, et comme rémunérés pour cela par une sorte de droit à la prédation et au viol.
Mais tous les hommes ne sont pas des porcs. Dans toutes les familles, il y a un petit garçon qui ne tape pas dans le ballon de toute la puissance de sa testostérone, qui aime la compagnie des filles, non pour les dominer, mais pour partager leurs jeux, qui va jusqu'à préférer la danse au foot, ou la poésie à la vulgarité. Ces garçons-là sont raillés, honnis, bannis. Ils refusent d'entrer dans le moule machiste; comme les "garçons manqués" n'entrent pas dans les cases sociales. Je ne crois pas qu'ils jouissent d'un statut enviable, encore aujourd'hui.
Il ne faut pas se tromper de combat : la plupart d'entre nous ne sont rien d'autre que de la chair taillable et corvéable à merci. Le capitalisme n'a rien à faire de votre sexe, sauf si ça l'arrange : sous payer les femmes a toujours été une pratique confortable, surtout que les hommes aussi étaient sous payés; et le gros avantage des luttes féministes, c'est qu'elles détournent des vrais combats. Tant que la lutte se passe entre hommes et femmes, elle ne se passe pas entre salariés et patrons. Toujours ça de gagné !
Et l'on voit bien que les revendications égalitaristes naissent toujours dans les milieux aisés où le femmes éduquées et moins contraintes matériellement, peuvent avoir une réflexion sur leur condition. Mais cela ne les met pas à l'abri des attitudes dominatrices, prédatrices, violents des hommes. Dans tous le milieux, l'Homme doit tenir son rang de mâle, et la femme celui de "maîtresse de maison" c'est à dire d'amante et de bonniche. On n'en sort pas !
Dénoncer les "porcs" est une bonne chose. Ce sont des gens qui ne méritent que le mépris. Mais assimiler tous les hommes à cette catégorie de minables, c'est être soi-même méprisable. Essayons plutôt de remédier aux maux de notre société intolérante, vindicative, et terriblement injuste. Le jour où les enfants seront élevés dans le respect de tous et de toutes, on aura fait un énorme progrès et on cessera d'assimiler le viol à "un troussage de domestique" et un geste de courtoisie à une agression. Toute société élabore ses repères : le monde change, les repères sont aujourd'hui flottants; certains s'accrochent aux images du passé, d'autres foncent bille en tête sur des causes louables mais sans subtilité. Faisons une pause et posons-nous les bonnes questions : comment faire en sorte que chacun et chacune vivent dans un monde serein et bienveillant ? quelle éducation fera de nos enfants des égaux, quel que soit leur sexe ? comment faire pour que tous et toutes comprennent où est le vrai combat émancipateur ?