J'aurais mieux fait de dire non ! (fantaisie littéraire)
C'est vrai, ça, quand j'y pense. Trois lettres, un mot prononcé comme ça, dans la précipitation, sans réfléchir. Et voilà; toute ta vie changée, et l'éternité elle-même... ah, la, la ! J'étais encore une gamine toute naïve, comment voulez-vous que je ne sois pas impressionnée? ma parole, il m'a choisie à cause de ça, l'autre, là, avec ses grandes ailes et sa bouche pleine de mots fleuris. Moi, ma Maman m'avait dit qu'il n'y avait rien de plus beau que le mariage et la maternité; et mon Papa, il m'avait dit que le Joseph, il me conviendrait très bien, puisqu'il lui convenait à lui. Ma vie était simple, réglée d'avance, tranquille. Je brodais, j'apprenais à faire des gâteaux, je chantonnais en gardant nos chèvres, je faisais mes prières pieusement. Une vie toute simple, je vous dis; un peu ennuyeuse, mais sans risques.
Eh bien, ça n'a pas duré. Quand j'y pense, il aurait pu me donner un délai de réflexion, l'archange. C'est vrai, ça; j'aurais pris conseil, mais voilà, apparemment, il était pressé. J'ai appris depuis que toutes les autres filles de mon âge avaient refusé. Il était à la bourre, l'envoyé, d'ailleurs, ça grondait dans le ciel; moi je croyais que c'était l'orage !
Alors, voilà. Timidement, je n'ai même pas dit oui. Dans la panique, j'ai eu recours à la périphrase, je vous ai dit que j'étais pieuse, alors, j'ai dit: "je suis la servante du seigneur" bien trouvé, non ? enfin, c'est ce que je croyais. Parce que lui et son patron, ils ont pris ça pour une acceptation ! Croyez-moi, j'aurais mieux fait de tourner ma langue sept fois dans ma bouche. Quand je vois mes copines, mariées dans la joie à de bons paysans pleins de bons sens qui leur ont fait une ribambelle d'enfants. Elles ont joui de tous les égards, personne n'a lorgné leurs ventres quand ils se sont arrondis après quelques mois de mariage. C'était normal, rien à redire. Elles sont devenues de grosses matrones un peu vulgaires, toujours affairées, bien dociles envers leurs maris ! Moi, je l'ai payée, mon étourderie; j'ai eu l'occasion de me mordre les doigts, je vous le dis. Voilà que je me trouve enceinte, avant même d'avoir fait la connaissance de mon fiancé. Imaginez ça ! heureusement, il était assez brave ou assez benêt pour accepter mes explications. N'empêche, les gens, ils savent compter et mon fils, il est né prématurément sans présenter les stigmates de l'enfant prématuré. Ça ne trompe pas. Ce que personne ne sait, c'est que Joseph, mon brave Joseph, persuadé que je portais Dieu lui-même, n'a pas osé me toucher, ni le soir des noces, ni après. Et l'accouchement pour une vierge, c'est pas de la tarte, surtout dans une étable, avec la paille qui vous pique à hurler !
La suite de ma vie n'a été qu'une suite d'emmerdes. Un gamin bouffi d'orgueil, fugueur et provocateur, qu'il fallait chercher partout où il n'aurait pas dû être, toujours à haranguer les copains pour les dresser contre l'ordre établi et le prêtres. Nous, les parents, on se faisait engueuler par les voisins, le clergé nous avait dans son collimateur, le représentant de Rome aussi. La trouille qu'on avait quand les gendarmes se profilaient ! à la fin, ils en ont eu assez, ils ont fini par l'attraper et par le crucifier, mon fils chéri, le fils de Dieu qui m'a laissée me débrouiller avec ma souffrance de mère, le lâche !
Alors, je vais vous dire : après cette vie mal foutue, j'étais bien contente quand la mort m'a prise, je me disais qu'au ciel, au moins, je pourrais me reposer. Eh bien, je me trompais : voilà que je suis élevée au rang de sainte, que les humains m'adressent mille et une prière pour que j'intercède auprès de mon fils qui siège à la droite de son foutu père biologique. Surbookée pour l'éternité, qu'elle est, la Marie. Et personne pour l'aider. J'en viens à envier les sort de mes copines qui elles, ont eu une vie normale et passent leur éternité à papoter entre elles en plaisantant sur leurs maris. Jamais elles ne viennent ma faire un petit signe d'encouragement. Ça me fait de la peine. Quelqu'un m'a dit qu'elles étaient jalouses. Je me demande bien de quoi, franchement !