l'avarice
Voilà bien un pêché auquel j'aurais dû échapper, puisque dans ma grande sagesse, je n'ai pas inventé l'argent. Je vous ai laissé cette initiative redoutable. Mais non, je n'ai pas pu éviter ce grave pêché. Ça avait pourtant bien commencé : quand vous étiez dans le désert à la recherche de la Terre Promise, je n'ai pas mégoté, je vous ai nourris. Mais depuis ? ah, depuis !... Je crois bien que j'ai prerdu la recette de la manne; mon Paradis est peuplé de morts de faim; des millions d'hommes, de femmes, d'enfants difformes, squelettiques, incapables, même de se plaindre, de protester, de me haïr. Pour cela, il faut un minimum d'énergie et ces malheureux n'en ont aucune. J'aurais pu faire quelque chose, j'ai regardé ailleurs. Pis que cela: j'ai utilisé des arguties. Je vous avais donné la Liberté, alors, vous deviez vous débrouiller tout seuls. Jolie pirouette ! ainsi les malheureux deviennent responsables de leur malheur et moi, je peux dormir sur mes deux oreilles. Enin, c'est ce que je croyais. C'est ce qui s'est passé pendant des siècles, parce que pendant des siècles, vous avez continué de croire en moi, de me vénérer et de vous mortifier en vous rendant responsables. Mais voilà que vous êtes devenus beaucoup moins béats, en même temps que vous deveniez de plus en plus nombreux. Malgré tous les malheurs que je laissais proliférer, vous prolifériez aussi. C'et que je vous ai faits intelligents, moi. Alors, forcément, pendant que les uns organisaient guerres et pillages, les autres farfouillaient dans le vivant pour inventer toutes sortes de remèdes et réussissaient à vous faire croître et multiplier, comme je l'avais recommandé à Adam. Je n'avais pas imaginé les conséquences de ce conseil. Malgré tous les efforts faits par les chefs qui levaient des armées à tout bout de champ, malgré l'invention de la "concurrence libre et non faussée", malgré mon abandon, vous avez réussi à à atteindre six, puis sept, puis huit milliards d'habitants sur cette pauvre boule bleue qui n'en peut plus de vous supporter. Très forts, mes enfants, vous êtes très forts ! mais pendant ce temps-là, je n'ai pas veillé à augmenter les ressources. Marre de payer pour vous. Mes cotisations sont assez élevées comme-ça. Débrouillez-vous ! D'ailleurs, nombre d'entre vous tiennent le même raisonnement, si je ne m'abuse. Si je suis avare, vous l'êtes aussi et je le sais, qu'au fond de vos coeurs, vous êtes souvent contents de voir mourir vos semblables en masse : ça fait de la place, ça permet aux plus riches d'accaparer encore plus de richesses, souvent en Mon Nom ! très forts, décidément, braves petits !
Voilà le discours que je tenais encore il y a peu. Mais aujourd'hui, devant la catastrophe, devant la gâchis, je me demande si je n'ai pas eu tort. Parce que, figurez-vous qu'aujourd'hui, mon pouvoir divin s'est émoussé. J'ai essayé de refaire le coup de la manne, dans le Sahel, rien n'est venu. Je crois bien que j'ai trop attendu : je suis un vieillard impuissant, désormais. Ne me reste plus qu'à me morfondre et à demander pardon. Mon avarice a engendré des catastrophes que je suis incapable de réparer. Je ne suis pas devenu plus riche, je n'avais nul besoin de richesses, idiot que je suis. Tout ce que j'ai gagné, c'est la surpopulation du Paradis. Et c'est moche, tous ces anges cadavériques aux os pointus et aux joues creuses, pas terrible, comme spectacle. C'est simple, on se croirait en enfer. Remarquez, y a un truc qui me fait rigoler : c'est maintenant que je me montre impuissant que vous recommencez à vous tourner vers moi. Faut-il que vous soyez au bout du rouleau !...