Tu ne feras pas de faux témoignage.
Si j'osais, je rirais ! mais l'heure est trop grave. Le faux témoignage est partout, aujourd'hui plus que jamais. L'intelligence que je vous ai donnée vous a conduits à fabriquer des objets de plus en plus performants, de quoi améliorer votre confort, de quoi mieux vous nourrir, de quoi vous déplacer plus facilement. Tout cela est bel et bon. Vous avez conquis la terre et vous l'avez soumise; c'est ce que je vous avais recommandé, il y a bien longtemps; je ne vais pas vous le reprocher. Ce faisant, vous avez empoisonné l'air que vous respirez, et cela ne me regarde pas. Débrouillez-vous pour réparer vos bêtises, après tout. Mais vous auriez pu vous en tenir à l'enfumage de l'atmosphère et ne pas enfumer aussi les esprits. Sur votre lancée créatrice - ah, je déteste ce mots ! le Créateur, c'est Moi, vous l'oubliez toujours - donc, sur votre lancée, vous êtes allés jusqu'à inventer l'intelligence artificielle... vous avez créé des machines à votre image ! Dans un premier temps, cela m'a amusé : mes chers petits me copient, me suis-je dit. Ils me rendent hommage, en somme. Je me rengorgeais. J'avais tort, car à ces machines, "intelligentes", vous avez omis de donner des commandements ; aucun complexe, aucune culpabilité, plongée directe et irrémédiable dans le pire. Le mensonge sans retenue, allié à une hypertrophie de vos égos survitaminés, et voilà que plus personne ne comprend rien à ce monde.
Ah, mes chers enfants, je me tâte, là, je me tâte. Vous enverrai-je un nouveau déluge ? une épidémie redoutable ? un astéroïde géant ? un typhon généralisé ? de ce genre d'épreuve, une nouvelle humanité plus modeste a ressurgi autrefois, .. Mais encore une fois, je me dis que c'est ma faute, évidemment. J'ai mis entre vos mains, je veux dire dans vos cerveaux, tout ce qu'il fallait pour en arriver là. J'ai pêché par imprévoyance : dès le début des temps, j'ai constaté que Ma Création était foireuse, j'aurais dû la détruire, flanquer à la poubelle ce brouillon merdique et tout reprendre à zéro. Maintenant, c'est trop tard. Vos distingués penseurs ne peuvent que constater votre entrée dans un "régime de post-vérité" l'euphémisme est savoureux. En fait, vous ne savez plus où vous habitez: vous mentez, mais on vous ment. Vous savez que vous mentez, donc, vous savez qu'on vous ment, évidemment. Voilà où ça vous mène, de vouloir M'égaler. Voilà où ça me mène, d'avoir toujours été faible avec vous, malgré mes sourcils froncés et mes rodomontades. Vous courez à la catastrophe, vous le savez, mais vous y courez quand-même. Finalement ce que je n'ai pas eu le courage de faire, vous vous en chargez fort bien : la terre que je vous ai donnée vous allez la détruire, grâce aux progrès techniques et sous la conduite des menteurs en chef, que vous élisez "démocratiquement" en vous fiant aux mensonges qu'ils disent ou à ceux qu'ils dénoncent. Des faux-témoins partout, bras tendus devant des juges véreux, défendus par des avocats dopés aux rumeurs tweeteuses... Voir ce bordel généralisé m'amuse et me dégoûte à la fois. Ce n'est pas ce que je voulais, c'est généralement ce que disent les responsables-non-coupables de catastrophes. C'est aussi ce que je dis. Pardonnez-moi, mes chers enfants, de vous avoir donné ces instruments redoutables sans vous doter des armes qui vous en auraient prémunis. Les mots des moralistes n'ont jamais empêché les criminels de commettre leurs crimes. Mes commandements ne sont que des mots qui s'envolent, même gravés dans le marbre du Sinaï !