TU NE TUERAS POINT
LA COLÈRE
Alors, là, mes très chers enfants, je ne sais pas si vous demander pardon va suffire. Franchement, je m'étonne encore que vous ayez cru en moi si longtemps, que vous ayez tenté d'appliquer mes commandements tant bien que mal, alors que depuis le début des temps, je ne les appliquais pas moi-même. D'accord, d'accord, je n'ai pas tué Adam et Eve quand ils on désobéi et tenté de percer mes secrets. J'aurais peut-être dû, cela aurait évité bien des souffrances. Je ne l'ai pas fait, mais j'étais en rognes, croyez-moi. Evidemment, j'avais installé la tentation à portée de main, je suis pervers, c'est un fait. Mais j'étais en droit, comme Créateur, d'exiger une obéissance inconditionnelle, quand-même. C'est vrai, ça, planter l'arbre de la connaissance en leur en interdisant les fruits, c'était juste un exercice de style, rien d'autre. Ils ont voulu savoir, ils ont croqué la pomme et ils ont su qu'ils étaient nus. Belle découverte ! pour le reste, ils ont dû beaucoup travailler, pour le connaître. VOUS avez beaucoup travaillé pour le connaître, et il me semble que vous y travaillez toujours, avec vos laboratoires en tous genres, vos chercheurs de plus en plus pointus, vos milliards consacrés à fouiller dans tous les recoins. N'empêche. J'étais furax ! Mauvais début : je les ai chassés du Paradis, j'ai maudit leur descendance et j'ai installé pour longtemps la haine des femmes. Tout part de cette colère initiale : les frères ennemis, les révoltes, les mises en esclavage, les guerres... chaque fois que j'étais en colère, je vous envoyais une belle catastrophe pour vous punir. Le déluge, une nuée de sauterelles, une belle extermination, je trouvais toujours un bras, pour exécuter ma vengeance. Vous auriez dû disparaître de la surface de la terre depuis belle lurette. Si vous y êtes toujours, c'est parce qu'à chaque fois, il s'est trouvé un brave mec, un peu coupeur de cheveux en quatre pour plaider: "Si je trouve dix justes, tu pourrais surseoir ?" et moi, magnanime: "amène-les toujours" "Même cinq, ça suffirait, non?" ... il y avait toujours un marchand de tapis pour mégoter. J'ai cédé à chaque fois. Au fond, les justes me font rire, avec leur naïve bonté. Ma colère finissait par s'éteindre; mais vous, vous suiviez mon exemple, sans manquer d'en rajouter, parce que, pour l'orgueil, vous aviez vite appris la leçon ! Vos guerres, au fil du temps, sont devenues des chef-d'oeuvres de cruauté. Alors que moi, je détruisais deux villes minables à Sodome et Gomorrhe, vous, ingénieux inventeurs de machines à tuer, vous massacriez par millions vos frères humains. Au point que vous me faites peur, maintenant. Vous n'attendez même plus d'être en colère pour tuer, vous vous contentez d'obéir à des psychopathes avec, en plus, la fierté du devoir accompli. Là, vous charriez, les petits. Mais comment vous en vouloir? je pourrais arrêter vos bras, je ne le fais pas, je laisse périr les innocents, je n'empêche pas les famines, je vous regarde faire, mollement allongé sur mon nuage favori, et quelque part, je reconnais en vous les dignes héritiers de mes propres pulsions. De quel droit pourrais-je vous faire reproche de cette cruauté gratuite, quand vous l'avez apprise de Moi ? et puis, depuis peu, je suis bien aise de vous voir à nouveau tuer en Mon nom. Ça me ravigote, si vous voyez ce que je veux dire... je crois que de belles pages vont encore s'écrire au livre des horreurs. Je regarde tout ça avec le plus grand intérêt. Toutefois, je ne sais pas si je vais réussir à vous ramener tous dans mon giron. Avec le temps, votre esprit critique s'est affuté, à mes dépens, surtout depuis Auschwitz. Le nombre des athées a connu une croissance exponentielle. Heureusement, la branche musulmane de Ma Création a pris le relais. Pour le meurtre gratuit et le colère, ils sont devenus très forts. Alors, me direz-vous, pourquoi demander pardon, si au fond, ça me fait plaisir de voir les guerres proliférer encore ? c'est que je suis las ! Le spectacle de tout ce sang répandu en Mon Saint Nom commence à m'ennuyer. C'est que je suis éternel, moi. Depuis la nuit des temps, je suis le même, alors que vous, vous arrivez tout neufs dans la vie, avec vos désirs ardents, avec vos colères toutes fraîches, avec vos pulsions nourries au ressentiment. Moi, voyez-vous, je suis nostalgique. Nostalgique des temps immobiles, du Paradis sur terre, de mes deux gogos nus et potelés qui faisaient des petits sans même savoir qu'ils faisaient l'amour. Je n'ai plus de colère depuis que vous en avez à revendre.
Calmez-vous, mes chers enfants, acceptez mes excuses et cessez de vous appuyer sur mes errements pour justifier vos propres folies !