Homophonie - 14

Il adorait ça, damer le pion face à ses adversaires. Ça avait commencé très tôt, dès ses six ou sept ans, dès qu'il avait su jouer aux dames. Devenu adulte, il avait compris le sens figuré de l'expression en entrant comme trader chez Lehman Brothers. Sa position lui fournissait maintes occasions d'écraser les concurrents, de les dépasser, de les anéantir. Et c'était une jouissance incomparable.

Il se trouva un jour en face de collègues et néanmoins ennemis jurés du Crédit lyonnais. L'emblème de cette banque, c'était un lion, rien de moins. Etant Américain, il ne comprenait pas le jeu de mots Lyon/lion. Pour lui, ce lion-là était ni plus ni moins qu'une provocation; il n'avait de cesse de contrer tous les actes de cet adversaire redoutable et pour tout dire animal. Pendant des années, il réussit en effet le à battre toujours sur le poteau, même du temps de Tapie !

Mais il ne faut jamais insulter l'avenir. Ce trader dynamique, golden boy en diable, se croyait intouchable. Le temps passant, il se mit comme les autres, à souffler dans la bulle immobilière pour la faire grossir sans risque: le lion était out, et sa banque à lui "to big to fail". Mais vint l'année 2008, annus horribilis devant l'Eternel. Lâchée par l'Etat, Lehman Brothers fit faillite, le lion du Lyonnais rigolait sous cape et notre golden boy ruiné se mit à Damner le lion.