La promenade du poète

Sandre, le poète de Montmartre (diaporama)

Sandre se leva, délaissant un moment sa table de travail. Il saisit son paletot de velours informe et sortit. C'était l'heure vespérale où la vie semble en retrait derrière les volets fermés à demi. Juillet engourdissait les corps et les pensées ; lui, marchait.

Au coin de la rue Lepic, il leva les yeux vers une fenêtre. Le réverbère était étrangement resté allumé, insolite. Odile avait tiré les rideaux. Odile n'apparaissait plus, désormais. Il soupira... De son long pas déambulait son grand corps emprunté dans les rues en pente. Un SDF avait abandonné sa literie misérable contre une palissade, comme on part au boulot en oubliant de faire son lit ; un chez soi, en somme. Sandre notait mentalement ; un poème prenait forme, la forme de sa promenade dans les rues silencieuses de Montmartre assoupie.

Sandre s'engagea dans le jardin public où sifflaient des merles inlassables. Le feuillage offrait à son visage ces alternances fraîches qui soulagent un instant. Il sortit de sa poche son calepin éculé et nota:

Odile aux cheveux d'ange

Ange maléfique et charmant... il biffa, rageur. Mieux vaut se taire que dire des banalités d'adolescent attardé.

Un banc peint en vert comme dans une chanson de Brassens accueillit son fessier respectable. Il souffla un moment, rêvassant son inquiétude dans la quiétude estivale. Une feuille virevoltait, légère, dans l'air lourd, incertaine. Il la saisit. Ce n'était pas une feuille, c'était un tout petit morceau de tissu soyeux portant des traces inidentifiables, comme celles laissées autrefois par la Sainte Face. Sandre sourit : la Sainte Face d'une feuille de platane, drôle d'idée!

Allons, pensa-t-il, il est temps de redescendre, passer par l'épicerie: une omelette, ce soir, peut-être ? Il prit aussi une miche chez le petit boulanger et se dirigea vers sa maison, jetant un dernier coup d'oeil à la fenêtre d'Odile... Odile !...