A Xanten
Siegfried était le fils de Siegismund et Siegelinde, le couple royal de Xanten aux Pays Bas et c'était un enfant difficile à élever; non qu'il fût méchant, têtu, rétif aux conseils ou aux ordres de ses parents, non, pas du tout. Le problème de Siegfried, c'est qu'il était exceptionnellement costaud, il possédait une force qu'il ne pouvait dominer. Cette force physique, ni lui, ni ses éducateurs, ni ses parents ne pouvaient la contenir. Quand il jouait avec des chiens, si gros fussent-ils, il finissait toujours par en jeter un sur le toit de la maison. C'était involontaire, il ne lui voulait pas de mal, mais voilà: le chien en mourait, naturellement !
Autre exemple: on rapporta un jour au roi son père que Siegfried, alors âgé de douze ans, avait tué un taureau dans un pâturage.
-Qu'as-tu fait, pourquoi as-tu tué ce taureau ? demanda le roi.
-Ce n'est pas ce que je voulais faire, répondit candidement Siegfried, j'étais sur la pâture et j'ai proposé au taureau de lui tenir compagnie. il m'a regardé, je l'ai regardé, nous nous sommes regardés pendant un moment. Cela ne me dérangeait pas. Père, est-ce que j'ai fait quelque chose de mal, jusque-là ?
-Non, dit Siegismund, continue.
-Ensuite, le taureau me regardait et je le regardais aussi. Etait-ce une erreur?
-Non.
-J'ai pensé que c'était un jeu. Je me suis dit que les taureaux ont d'autres jeux que les hommes. Eux sont des taureaux, nous sommes des humains ! est-ce que j'ai fait quelque chose de mal jusque-là ?
-Non, non, continue.
-Ensuite, le taureau m'a foncé dessus. J'ai compris que ce n'était pas un jeu, qu'il voulait me tuer. Alors, je ne savais plus que faire. Trop tard pour m'enfuir. Je l'ai saisi par les cornes et je l'ai tué, sinon, c'est lui qui m'aurait tué. Est-ce que j'aurais dû le laisser faire ? le rois éclata de rire. "Non, bien sûr que non, mon fils."
Le père ne savait pas comment domestiquer cette force irrépressible. Il demanda à son conseiller: "Que dois-je faire de mon fils ?" Le conseiller conseilla: "Donne-lui l'occasion d'utiliser sa force, fais-le travailler."
Siegismund confia à Siegfried de durs travaux pour juguler sa force, mais cela le rendit plus fort encore !... et encore moins maître de ses muscles ! Son père lui disait toujours :
-Un jour, tu iras dans le vaste monde; un jour il faudra que tu conduises toi-même ta vie. comment feras-tu si tu ne peux dominer ta force ? Siegfried réfléchit et dit:
-C'est quoi, sa propre vie ? comment est-il, le vaste monde ? Assis aux créneaux du château paternel, il regardait vers l'extérieur et se demandait: "où commence-t-il, le vaste monde ? derrière la petite forêt, là-bas ? ou bien plus loin, derrière la montagne ? Où commence-t-il, le vaste monde ?.. Sans cesse, il consultait son père là-dessus. Et voilà qu'il devint un jeune homme. Son père lui dit: "écoute bien, Siegfried, maintenant, tu es en âge, pars à la recherche de ton monde.
-Mon monde ? Est-ce donc que chacun a son propre monde ?
-C'est ce que je pense parfois? dit le père.
-Tu n'en es pas sûr ?
-Non, je ne sais pas, mais ce n'est pas important. Le monde que tu trouves est ton monde parce que tu le vois avec tes propres yeux, mais il est en même temps le monde des autres. Ta vie commence maintenant: pars ! Et Siegfried qui n'avait jamais eu peur de rien, bredouilla, incertain: "comment vais-je faire, père ?"
-Rien de plus simple, ouvre la porte et pars ! C'est ce que fit Siegfried. Sa mère l'embrassa, disant: "Siegfried, quand tu auras trouvé la vie et le monde ou quand tu auras trouvé quoi que ce soit que tu considères comme tien, reviens. Elle ne voulait pas perdre son fils et son fils promit. Il s'en fut, mettant un pied devant l'autre, comptant cent pas et encore cent. il se retourna, contempla le château de ses parents, au loin et reprit sa marche. Il pensait:"qu'est-ce que je fais ? rien d'autre qu'un pas après l'autre, comment saurais-je quand le monde commence ?