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nicolavignon.over-blog.com

Des écrits poétiques et littéraires agrémentés de photos ou de tableaux et aquarelles... le monde sensible transfiguré par les mots et les couleurs.

Le Tiroir à Photos (9)

Publié le 29 Août 2014 par Nicole Fack in Récit

PHOTOS DE MARIAGE

Le tiroir contenait, inévitablement, des photos de jeunes mariés. Certains nous étaient apparentés de manière si lointaine que nous étions incapables de distinguer le fil qui nous reliait à eux. Je me souviens d'un petit couple sépia: lui, moustachu, un peu crispé, elle souriante sans être vraiment détendue, portant une robe blanche à mi-mollet, manches longues et col Claudine. Sage, très sage. A peine une petite dentelle au corsage qui montait jusqu'au cou. Des bas blancs et des chaussures à brides comme en portent les petites filles, mais avec un petit talon, et surtout, des cheveux courts à la garçonne et dessus, une couronne de roses blanches qui retenait un voile de tulle. Cette couronne me plaisait beaucoup et je souhaitais secrètement en posséder une semblable. Il y avait aussi mes frères et leurs épouses, bien sûr, costume strict pour les garçons, vapeur de tulle et d'organdi pour les filles avec fleurs d'oranger en couronne ou en diadème. Les mariages des cousines, des tantes, des oncles, mais pas de photo de mariage de nos parents. Trop fauchés pour organiser la moindre fête, et indignes de la fleur d'oranger pour cause de bébé prénuptial, ils n'avaient même pas pu s'offrir d'alliances et c'est munis d'anneaux de rideaux en cuivre qu'ils s'étaient rendus à la mairie.

Mais un mariage nous impressionnait beaucoup. D'abord parce que la photo était de grande taille, qu'on y voyait de nombreux invités, dont notre mère et ses deux premiers enfants environ huit et six ans. Tous très chics, quoiqu'un peu mélancoliques. C'était pendant la guerre, le mariage, si j'ai bien compris, du beau-frère de ma tante. Les tenues confectionnées dans des rideaux, des nappes, des voilages et des couvertures, vous en mettent plein la vue. C'est que la photo lisse les choses et ne dévoile ni la mauvaise qualité des tissus, ni les maladresses d'exécution. Ce fut tout de même un beau mariage. Un autocar, s'il vous plait, emmena la noce au restaurant où l'on mangea chichement malgré quelques saucisses dégottées au marché noir. Maman avait le don de dépeindre tout ça avec humour, rappelant qu'à l'époque, personne n'avait à se soucier ni de sa ligne ni de son foie... Et puis après les rires, la tragédie. De son doigt, elle nous montrait un à un tous ceux qui avaient péri quelques mois plus tard dans le bombardement intensif qu'effectuèrent les Américains pour décourager toute résistance des Allemands ; lesquels d'ailleurs, avaient déjà déguerpi. Ce fut un terrible massacre dont les jeunes mariés non plus ne sortirent pas vivants. Les miens, si. Heureusement parce que sinon, je ne serais pas née et vous, pauvres lecteurs, vous seriez privés de la lecture de ces lignes...

Photo trouvée sur Internet.

Photo trouvée sur Internet.

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