NORBERT
J'ai évoqué rapidement cette image de l'enfant tuberculeux. Si j'y reviens, c'est qu'elle est de celles qui nous fascinaient. Jamais le rituel du tiroir à photos ne s'est déroulé en omettant Norbert, notre cousin, mort à treize ans de la tuberculose des os, dans un sanatorium de Berck-Plage.
Allongé sur un lit de fer tendu de blanc, l'enfant pâle aux cheveux blonds et au regard vague tenait son missel dans la main gauche autour de laquelle on avait enroulé un chapelet dont la croix pendait dans le vide. Ce même bras portait le brassard brodé des communiants de l'époque, mais le plus étonnant, c'est qu'on avait pris soin de le vêtir de son costume sombre pour lui faire faire sa communion solennelle dans son lit. Je me trompe eut-être, mais pour moi, c'était pendant la guerre. On n'avait pas encore d'antibiotiques; il était mort mal nourri, loin des siens. Comment ne pas mourir de détresse, de chagrin, de solitude, rongé par le bacille, certes, mais dévoré aussi par l'absence.
Maman soupirait: le pauvre Norbert ! nous soupirions aussi. Maman pensait à la terrible douleur qui doit submerger une mère quand elle perd son enfant. Nous, nous pensions à la terrible panique qui saisit un enfant privé de sa mère. Et les bonnes soeurs qui avaient osé organiser cette cérémonie et envoyer la photo aux parents ! Elles avaient cru bien faire, les consoler un peu en leur montrant qu'il était prêt à monter au ciel parmi les anges... De là date peut-être mon athéisme !