DANSEUSES
Dans le tiroir, on trouvait aussi des photos plus récentes, prises par notre frère et nous montrant, ma soeur et moi, en danseuses. Pas sous les feux des projecteurs sur une scène d'opéra, non. Les flash dont il disposait ne pouvait guère réaliser cet exploit et la scène sur laquelle il nous arrivait de nous produire, était si vétuste et si pauvre que les projecteurs étaient remplacées par de simples ampoules de soixante watts. Alors, où ? Dans le jardin, un jour de soleil, ce qui est rare dans les Ardennes. Comme nous étions pauvres, ma soeur avait confectionné de ses propres mains nos tutus, avec de la doublure et du tulle, d'après un patron découpé dans Modes et Travaux, ou ailleurs. Même les chaussons, elle les fabriquait dans de vieilles toiles. Ils s'usaient rapidement, mais les remplacer n'était pas trop onéreux.
Sur l'une de ces photos, ma soeur qui doit avoir dix huit ans, se tient, un genou en terre, son pied droit posé devant elle et sur sa cuisse horizontale, se tient une petite fille de six ans, moi-même, debout sur un pied, le droit, tandis que l'autre jambe, la gauche, s'élève en arabesque. Les deux mains de ma soeur me maintiennent à la taille, mes deux bras s'arrondissent autour de ma tête. Nous n'avons le sourire ni l'une ni l'autre: l'exercice, assez périlleux réclame la plus grand concentration. Ce qui est drôle, c'est que nous posons au milieu du potager. Heureusement c'est au début du printemps, les poireaux ne sont pas encore identifiables. On peut ainsi, avec une âme de poète, imaginer que nous sommes des fleurs sorties de cette terre fraîchement retournée...