C'est une rue tordue, mal foutue, rigolote qui vous emmène en flânant, vers la porte Saint Lazare, venant du Palais des Papes. Le sol y est inégal, les maisons aussi: certaines très belles, d'autres plus modestes. A un moment, elle s'enfle un peu et devient place - des Trois Pilats, bien sûr - puis elle retrouve sa taille normale avant de déboucher dans la rue des Infirmières.
Trois Pilats, se disait Philonarde, c'est au moins deux de trop... réflexion idiote, à vrai dire, car qu'ils soient un ou trois, ces Pilats-là constituaient un mystère de plus. Dans le dictionnaire, elle trouva un Pilat, montagne du Massif Central, une dune du Pilat, et puis un massif suisse, mais celui-là avait nom PilatE, comme le Ponce du même nom. Ces trois Pilats étaient-ils trois monts, trois dunes, trois hommes? l'esprit de Philonarde ne trouverait pas de réponse dans le dictionnaire, elle le savait.
Comme toujours, la vérité était beaucoup plus simple qu'elle ne l'imaginait; pour la connaître, nul besoin de se torturer la cervelle. Il suffisait d'attendre que la solution se révèle spontanément à la faveur de quelque somnolence paisible.
Ce jour-là, il faisait chaud. Le printemps bien mûr glissait vers la Saint Jean. Les platanes bienveillants étalaient leurs larges feuilles en guise de parasols, mais les pierres chauffaient au soleil qui chaque jour montait plus haut, se levait plus tôt, se couchait plus tard, comme à regrets. Philonarde avait fermé ses volets et ouvert les fenêtres, espérant un léger courant d'air. Elle avait pris une douche, passé un peignoir et s'était allongée sur son lit blanc avec un livre de Pierre Magnan, auteur qu'elle affectionnait particulièrement parce qu'il savait mettre en scène la Provence rude dans des romans policiers palpitants. Elle suivait donc avec intérêt les pérégrinations de l'inspecteur La Violette, quand elle perçut très faible, un petit bruit répétitif dont elle n'identifiait pas l'origine et qu'elle tenta même de tenir à distance, désireuse qu'elle était de ne pas se laisser perturber dans sa lecture. Mais le petit bruit un peu grinçant se fit plus insistant, plus fort aussi. Philonarde leva les yeux, parcourut la chambre d'un regard circulaire. Le bruit ne venait pas de là. Elle tendit l'oreille. le grincement métallique venait de l'extérieur. Ma foi, la rue émet souvent des bruits étranges et il n'est pas nécessaire de s'en préoccuper, surtout quand on a un bon polar à dévorer. Elle se replongea donc dans sa lecture; mais il lui sembla qu'elle ne réussissait pas à retrouver l'ambiance de l'enquête. Elle avait du mal à visualiser la Montagne de Lure: les mots qui dansaient devant ses yeux ne faisaient plus image. Ou plutôt, lisant la description de Digne, elle voyait Avignon, plus précisément une rue serpentine et rigolote, déserte sous le soleil de juin et au milieu de laquelle marchaient en jacassant trois petit oiseaux vêtus de noir et blanc.
-Mais, se dit Philonarde, que viennent donc faire ici ces trois pies-là ?