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Des écrits poétiques et littéraires agrémentés de photos ou de tableaux et aquarelles... le monde sensible transfiguré par les mots et les couleurs.

Ah, mon père !

Publié le 3 Mars 2014 par Nicole Fack

A partir de là, les choses se sont accélérées. Tout l'été, mes disciples et moi avons parcouru la région à pied, en conversant sur les injustices du monde et en élaborant des projets d'intervention. Mais il fallait se rendre à l'évidence: s'il était facile de dénoncer les marchands du temple, il était beaucoup plus compliqué de s'attaquer à la finance qui nous étranglait tous. Seuls les politiques auraient pu faire quelque chose, mais ils semblaient ne pas le vouloir vraiment. Sur ce point, mon Père restait muet. Je m'efforçais donc de parler à se place.

-Ce qu'il faudrait, c'est pouvoir entrer dans les ordinateurs des spéculateurs et perturber les marchés au point que tout se casse la gueule. Alors, on pourrait en revenir aux valeurs vraies, à la nourriture naturelle, aux préoccupations essentielles et à l'Amour qui est la valeur suprême, disais-je, nous ne sommes pas assez forts en informatique pour faire ça, mais toi, Jules, tu seras bientôt au niveau, non ?

Jules était une nouvelle recrue, déjà étudiant à l'université des sciences, spécialisé dans la cybernétique. Il n'était pas bavard, il écoutait beaucoup, en silence et certains des amis de la première heure se méfiaient de lui: C'est un sournois, tu as tort de lui faire confiance... Mais Jules , comme nous, était dans la main de Dieu, il nous accompagnait dans nos pérégrinations, dans nos prières et j'avais l'espoir qu'il devienne un geek, ce que mon Père ne semblait pas être. Ce jour-là, Jules répondit qu'en effet, il bidouillait de mieux en mieux et que pour se faire la main, il avait piraté le réseau du lycée, chamboulant les projets d'emploi du temps, falsifiant les notes des élèves, mutant certains professeurs qui, évidemment, n'avaient rien demandé de tel. On imagine la pagaille !

-Très bien, lui dis-je. Quand tu sera prêt, dis-le nous, afin que nous puissions organiser les prises de parole nécessaires à l'accompagnement de l'action. Les financiers seraient foutus d'accuser les Chinois et tout le monde les croirait !

Mado aussi, nous accompagnait dans nos déambulations. Elle avait beaucoup changé, était devenue sage, réfléchie, ne fréquentait plus les boites le samedi soir, n'avait plus d'amants... visiblement, elle suivait mes conseils, attendant de rencontrer le Prince Charmant et de fonder une famille. Dans notre groupe, elle se tenait en retrait, respectueuse et dévouée. C'était une autre Mado, j'étais fier d'avoir opéré ce changement et je parlais souvent d'elle à mon Père, lequel était tout à fait d'accord avec moi. C'est elle qui me souffla notre action suivante. Un jour que nous nous trouvions aux abords du centre commercial, elle s'approcha et souffla:

-C'est le nouveau temple ! C'est à la marchandise et non à Dieu que les gens rendent hommage; regarde-les avec leurs airs déférents, prêts à tout sacrifier, jusqu'au dernier centime, à emprunter même à des taux usuraires pour satisfaire leur idole. Des victimes consentantes ! Remets-les sur le droit chemin, Chris ! Pierrot qui avait entendu approuva:

-Elle a raison. Avant que Jules déglingue la finance par des moyens sophistiqués, on pourrait commencer à gripper les rouages... Sitôt dit, sitôt fait: nous nous sommes dirigés vers les entrées et avons commencé à haranguer les chalands.

Ah, mon père !
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