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Des écrits poétiques et littéraires agrémentés de photos ou de tableaux et aquarelles... le monde sensible transfiguré par les mots et les couleurs.

Ah, mon père !

Publié le 28 Février 2014 par Nicole Fack

Quand nous avons débarqué dans la boutique de souvenirs, armés de notre seule dignité et pénétrés de la justesse de nos actes à venir, la grenouille de bénitier à lunettes, plantée derrière son comptoir jeta sur nous un oeil distrait. Un chaland payait ses emplettes : chapelets de verroterie, angelots en plâtre, porte-monnaie orné d'une image de la cathédrale. En bon croyant, il largua cinquante euros sans moufeter.

-Pourquoi achetez-vous ces conneries? demandais-je au quidam interloqué, vous croyez que Dieu vous en tiendra compte au jugement dernier? Ça fait combien d'années d'éternité gagnées, cinquante euros?

-Ce sont juste des souvenirs, dit l'interpelé.

-Oui, eh bien, les souvenirs, vous pouvez les acheter ailleurs. Le commerce n'a rien à faire ici. Allons-y les gars, dis-je en me tournant vers mes douze potes. Le plus costaud passa derrière le comptoir et expulsa la grenouille manu militari, pendant que j'arrachais les souvenirs des mains du touriste, les jetais au sol et les piétinais. Les autres firent subir le même sort aux étalages: tout fut renversé et soigneusement piétiné, jusqu'à l'arrivée de l'évêque affolé. Celui-ci hurlait Arrêtez, bande de vandales! Arrêtez ou j'appelle la police! Sidonie, appelez le commissariat, dites que nous sommes victimes d'un holdup.

Evidemment, on a fini au commissariat, pas celui de mon patelin, celui de la Préfecture ! Je préférais, parce que dans l'autre, on me connaissait bien. J'y étais allé pour chercher mes frères, ces petits cons. Le commissaire m'avait recommandé de veiller sur eux et de faire en sorte qu'ils aient d'autres fréquentations. Ils ne seront pas toujours protégés par leur âge, m'avait-il dit. J'avais promis, je surveillais, les gosses se tenaient à carreau. Alors, imaginez la tête du commissaire s'il m'avait vu débarquer, moi, menotté pour avoir dévasté un magasin bien pensant... Bon, celui-là, je ne le connaissais pas, il avait un regard sévère, un peu comme un instituteur à l'ancienne. On n'aurait pas été étonné qu'il sorte une règle en fer de derrière son dos pour vous taper sur les doigts.

-Qu'est-ce que c'est que ce bordel? Qu'est-ce qui vous prend les jeunes? dit-il, vous avez tout cassé, et mes hommes me disent que vous n'avez pas visité le tiroir-caisse. Je ne comprends pas.

-Nous ne sommes pas des voleurs, monsieur le commissaire, nous voulons juste remettre les choses à leur place: le commerce n'a rien à faire dans la maison de mon Père.

-Ton père?

-Je suis le fils de Dieu, monsieur le commissaire et mon Père est désolé de voir comment se comportent les prêtres. PAS DE MARCHANDS DANS LE TEMPLE, m'a-t-il ordonné. J'obéis, c'est tout.

-Tu veux dire que Dieu te parle à toi, un petit gars de banlieue? tu déconnes !

-Pas du tout, monsieur le commissaire. Je le regardais droit dans les yeux, mais sans arrogance: j'étais juste sûr de mon bon droit.

-Bon, quel âge as-tu?

-Seize ans, monsieur le commissaire.

-Tu n'es donc pas encore majeur... alors, on va arrêter les ânerie. J'appelle ton père pour le prévenir, et puis le juge des enfants fixera une peine de réparation. L'évêque sera dédommagé et vous autres, vous apprendrez ce que c'est de bosser pour réparer les conneries que vous faites. Si c'était moi, je vous foutrais une raclée, mais c'est plus à la mode, il paraît. Donne-moi le numéro de téléphone de ton père.

-Il n'a pas le téléphone, mon Père.

-Impossible. S'il n'a pas de portable, il y a une ligne fixe à la maison, chez toi.

-Un fixe chez moi, oui. Mais vous ne trouverez pas mon Père chez moi. Il est au ciel, mon Père.

-Ah, là, tu m'énerves! Si tu continues, je te la donne, la fessée que tu mérites, fais gaffe! Ce type était vraiment borné. Pas moyen de lui faire entendre la voix de la réalité. Il a tellement insisté que j'ai donné le numéro de la maison. Joe n'y était pas, mais maman, elle y était, elle a mis du temps à comprendre de quoi on lui parlait. N'ayant pas de voiture, elle a dû solliciter sa soeur pour venir me chercher. Elle pleurait, bien sûr, et moi j'étais bien embêté de lui faire de la peine. Mais j'attendais d'être seul avec elle pour lui expliquer la vérité. J'étais confiant, puisque j'avais raison.

Ah, mon père !
Ah, mon père !
Ah, mon père !
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