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nicolavignon.over-blog.com

Des écrits poétiques et littéraires agrémentés de photos ou de tableaux et aquarelles... le monde sensible transfiguré par les mots et les couleurs.

Ah, mon père ! ...

Publié le 15 Février 2014 par Nicole Fack

Je devins taciturne. Il est vrai que j'entrais dans l'adolescence qu'on appelait l'âge ingrat; et ingrat, je le devins: je ne voulais pas savoir qui m'avait élevé, qui avait fabriqué mon petit marteau, qui avait eu assez de grandeur d'âme pour pardonner à Marielle d'avoir ramené un bâtard, alors qu'elle était promise à Joe depuis toujours. Il ne me venait pas à l'idée que le Joe ne faisait que rendre la monnaie de sa pièce à Maman. Ça, c'est ma cousine Mado, la délurée, qui me le souffla plus tard, quand enfin, je me confiai à elle. Non. Je ne voulais rien savoir. Pour moi, Joe n'avait aucune circonstance atténuante... et puis, nous avions faim, nom de Dieu ! L'épicier chez qui s'allongeait notre ardoise faisait de plus en plus la gueule quand je lui disais: "Maman paiera demain." Le demain en question n'arrivant jamais, il finit par reprendre ce qu'il avait posé dans mon cabas en disant: "pas demain, aujourd'hui. Dis-lui, à ta mère." La honte ! Je suis rentré en larmes... et maman m'a enguirlandé ! Toute cette honte, pendant que mon faux père se pavanait je ne sais où, payait des coups à des "putes" (le mot est de Maman) et se fichait pas mal de ce qui nous arrivait. Moi, j'avais pris une résolution: il fallait que je retrouve mon vrai père. Une résolution, c'est bien, mais comment faire? Premièrement, retourner sur les lieux du crime. Pour prendre le magasin de chaussures, ils avaient vendu la vieille maison et l'ancien atelier et s'étaient transportés dans une bourgade plus proche de la vraie ville. Il fallait que je retourne au village que nous habitions alors, que Maman ne quittait jamais, où ses parents tenaient un bistrot fréquenté par des habitués et des tapeurs de cartons. Mes grands-parents n'étaient plus de ce monde, mais tout le monde les connaissait et, par conséquent, connaissait aussi leur fille, ma mère. Je n'avais pas un radis pour acheter un ticket de bus, mais je réussis à me faufiler sans être repéré par le contrôleur. Je me retrouvai bientôt sur la place du village, en face du café qui avait changé de nom, et je regardais autour de moi, me demandant seulement comment j'allais m'y prendre: je n'y avais pas réfléchi. Pour ne pas sembler bizarre, je me mis à marcher le long des maisons qui bordaient la place, regardant, l'air de rien, les vitrines minables - et rares - qui étaient censées l'animer. Ayant fait le tour sans avoir trouvé le début d'une idée, je m'engageai dans les rues que j'avais autrefois parcourues avec les gamins de mon âge, sans en rencontrer un seul: ils devaient être devant la télé, ces ploucs ! Au bout d'une heure, totalement désespéré de mon impuissance et rageant contre mon impréparation naïve, je pris le bus dans l'autre sens et je rentrai bredouille, plus taciturne que jamais. Maman pleurait parce qu'elle m'avait cherché sans me trouver.

Ah, mon père ! ...
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