Mado connaissait un coin tranquille, un peu écarté du chemin de halage. C'est là qu'elle s'installa dans l'herbe, assise, puis allongée:
-Viens à côté de moi, dit-elle en riant de ma balourdise, c'est fou ce que tu as l'air godiche! Et puis, quand je me fus exécuté, elle me demanda sérieusement: qu'est-ce qui ne va pas? Tu ne parles pas, tu n'as pas d'amis, tu ne dragues pas les filles; ne me dis pas que tu veux vraiment te faire prêtre, quand-même!
-Non, pas prêtre... mais je ne sais pas ce que je voudrais faire vraiment. Maman a besoin de moi, à cause du père qui déconne et de mes frères qui déconnent encore plus. J'ai trop à faire pour m'amuser.
-Mon vieux, la première chose à faire, c'est de penser un peu à toi. Dans la vie, il faut se prendre en main, chacun trouve des solutions. Ton père s'emmerde avec Marielle parce qu'elle est trop sage, alors, il baise ailleurs. Tes frères envient les autres qui ne portent que des grandes marques, alors ils aident les dealers pour récolter quelques pièces. Ta mère en a marre d'être méprisée et honte de ne pas pouvoir vous élever comme il faut, alors, elle prendra un amant généreux et gentil pour se venger de son malotru et pour mettre du beurre dans les épinards... c'est la vie, ça. Tu es le seul à ne pas vivre vraiment. Viens plus près. Et avant que j'aie pu lui répondre, avant que j'aie digéré ce discours qu'elle m'avait asséné, elle se colla à moi et m'embrassa, la bouche grande ouverte. Quand sa langue se mit à caresser la mienne, je ne pensai plus à rien d'autre. Je la lêchai aussi. J'osai même poser ma main sur son sein rebondi! J'en avais envie depuis longtemps. Elle semblait trouver ça tout naturel, sa main descendit jusqu'à la fermeture éclair de mon pantalon. Je bandais, évidemment, j'avais honte, mais elle, non. Ce qu'elle me fit était beaucoup plus agréable que ce que je me faisais moi-même quand je n'en pouvais plus. C'était à la fois plus doux et plus violent, j'en aurais hurlé de joie, si je n'avais craint que des promeneurs intrigués nous découvrent à moitié nus dans l'herbe tendre.
-Heureusement que je prends la pilule, dit-elle, parce qu'avec tout ce que tu viens de lâcher, je pourrais mettre au monde des quintuplés! Elle riait de bon coeur. Moi aussi, même si je me sentais vaguement coupable. Dis donc, ajouta-t-elle, maintenant que tu es dépucelé, tu vas te mettre à en sauter d'autres; un bon conseil, tâche de te procurer des préservatifs, inutile d'attraper le sida, ou d'engendrer un bâtard. Il y en a assez comme ça.
-Tu dis ça pour moi?
-Désolée, je ne voulais pas te faire de peine. A toi, je ne veux que du bien, tu n'as pas remarqué?
Evidemment que j'avais remarqué! J'étais éperdu de reconnaissance. Et je ne souhaitais rien d'autre que recommencer.
-Tu le sais que le père n'est pas mon père, pas vrai?
-Tout le monde le sait! Et si on ne le savait pas, il suffirait de vous regarder. Mais ça ne change rien. Joe est un mauvais père aussi pour ses vrais fils, non?
-Oui, tu as raison. Mais mon vrai père, lui, est peut-être un type bien.Tu sais qui c'est?
-Les types bien n'abandonnent pas la fille qu'ils ont mise en cloque, voilà ce que je dis. Et voilà ce que je lui dirais si je le connaissais. Mais je ne le connais pas.
Ces paroles définitives me clouèrent le bec, ce qui ne contribua pas à faire la clarté dans mon esprit embrouillé. Un autre dimanche, alors que nous nous étions "promenés" au bord de la rivière, je lui suggérai de m'accompagner à la recherche de mon vrai père, elle fut catégorique:
-Tu perds ton temps, mon ange. De plus, tu cours au devant de grandes claques. Celui que tu appelles ton vrai père t'enverra sur les roses, si tu le retrouves. Il est sûrement marié et père de famille. Tu imagines qu'il va te serrer dans ses bras en pleurant comme dans un mauvais film américain?
-Mais on a maintenant, des moyens sûrs pour savoir...
-Tu vas lui arracher des cheveux ou lui gratter l'épiderme pour le soumettre à un test ADN, c'est ça? Redescends sur terre. Ce type ne peut rien pour toi; il t'a rejeté une fois, il te reniera autant de fois qu'il faudra. A ta place, je ne chercherais pas à vivre une telle avanie. Avanie ! Elle en avait des mots, parfois, ma cousine... l'embêtant, c'est que je sentais bien qu'elle avait raison. Même avec une preuve scientifique, qu'est-ce qu'il en avait à faire de moi, mon vrai père? Du coup, je replongeai dans la mélancolie.
-Fais pas la gueule, dit Mado, ta vie commence à peine, tâche de la réussir mieux que ne l'ont fait les parents... et achète des préservatifs, nom de Dieu!