Les choses avaient bien changé. Moi qui étais solitaire, silencieux, méprisé de mes condisciples, voilà que tout le monde recherchait ma compagnie. Mes camarades devenaient mes amis, même les plus âgés prenaient conseil auprès de moi. Les filles aussi, me faisaient les yeux doux. Je savais, grâce à Mado, ce qu'elles voulaient de moi, et je le leur aurais donné volontiers, mais je n'avais plus le temps de batifoler. Je me masturbais encore un peu de temps en temps, mais le besoin n'était plus le même. Quand je me sentais un peu "chargé", je pensais à mon Père, pas à Joe, pas à l'autre non plus, le soldat inconnu, non. Je pensais à mon Père. Je lui parlais, il me répondait et je l'écoutais. Il était de bon conseil, ma foi. Alors, après, j'étais en mesure de conseiller mes potes et mes copines aussi. La grande affaire, c'était de faire admettre que j'étais le fils de Dieu. Je ne leur ai pas fait cette révélation tout de suite. J'ai laissé les choses mûrir. On se promenait beaucoup, dans les rues de notre banlieue pourrie, on se posait dans le square où on s'asseyait en rond sur le gravier quand la pluie ne l'avait pas détrempé, et ils me posaient es tas de questions sur tout. Un jour, Thomas me dit:
-J'en ai marre de mon père, il boit au lieu d'aller au boulot, et quand il est saoul, il frappe sur tout ce qui bouge. L'autre jour, je lui ai envoyé un coup de poing dans sa sale gueule. Il en a été estourbi pour un moment. Depuis, il se méfie de moi, mais il tape ma mère dès que j'ai le dos tourné. T'as une idée?
-Ton père est un malheureux, lui dis-je, plutôt que le frapper, tu devrais essayer de parler avec lui, surtout pas lui faire la morale, mais chercher à savoir ce qui cloche dans sa vie. C'est ce que je fais en ce moment avec Joe, et ça commence à marcher: il rentre plus souvent à la maison, il boit moins et il pense à chercher une solution pour nous tous, renoncer au commerce pour lequel ils ne sont doués ni l'un ni l'autre, trouver un emploi ou même suivre une formation sérieuse. On n'aurait pas cru une chose pareille, pas vrai? Dieu connaît les souffrances de chacun et II souffre avec nous tous parce qu'Il nous aime, ne Le décevons pas. J'avais dit ça en levant les yeux au ciel et tous les gars avaient suivi mon regard. Coup de chance, l'étoile du berger brillait juste au-dessus de nous, comme un signe. Les gars, mes compagnons se sont sentis tout émus et moi aussi.
-Demain, c'est samedi, dit un autre, ma copine voudrait que nous allions tous en boite pour danser, même toi. Tu viendrais?
-D'abord, je suis trop pauvre pour me payer l'entrée, dis-je, et puis je n'aime pas le bruit infernal qui règne là-dedans, ça empêche de parler, ça gène pour penser... je crois que je resterai en tête à tête avec mon Père. Il a sûrement des choses à me dire.(Les gars n'avaient pas senti la majuscule à Père !) Réfléchissez à l'utilité de ces sorties pour vous et pour vos copines. Je parie que vous buvez pas mal, que vous snifez aussi, que vous draguez sans respect pour les autres et pour vous-mêmes. Je me trompe? On a bien le droit de s'amuser, non? Bien sûr, bien sûr... mais pensez-y: les temps sont apocalyptiques, la société se délite, la planète est prête à sombrer, tout part à vau-l'eau. Vous, les jeunes, vous tenez l'avenir dans vos mains. Ne le gâchez pas, sinon, la misère se répandra encore davantage et vous serez responsables aux yeux de tous.
-Décidément, Chris, tu veux faire de nous des saints !
-Il est tard, rentrons faire nos devoirs. Faites-les, c'est la période des contrôles, vous vous rappelez? C'est important aussi, ça et puis retrouvons-nous demain matin, vers dix heures. Je propose un tour en barque sur la rivière et un pique-nique. Le père Durandel nous prête son embarcation et météo France promet du soleil.
-Génial ! Le cri fut unanime. On se quitta joyeux en élaborant le menu du pique-nique. Ils avaient décidé d'un commun accord de ne pas inviter les filles à notre sortie. Ce sera entre mecs ! avait dit le Paul qui comptait bien amener son attirail de pêche.