IRREMEDIABLE

Tu ne voleras pas !

Là, quand-même, mes chéris, je dois dire que je me sens innocent. J'ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne trouve aucune trace de vol de ma part. Vous, en revanche, vous ne vous êtes jamais gênés pour enfreindre ce commandement pourtant impératif.

Bon. J'avoue que je vous ai créés inégaux, c'était pour vous stimuler, pour que vous ne soyez pas enclins à la paresse, un autre pêché capital. J'ai dû exagérer; certains étaient si démunis qu'ils n'avaient le choix qu'entre voler ou crever de faim. Ils on choisi la vie; je ne vais pas les blâmer, Je suis seul à disposer du droit de vie ou de mort ! Les Gavroche qui crèvent de faim peuvent bien piquer à l'étalage, je les condamne pour le principe, je les absous au fond de mon coeur. En cela, je suis meilleur que vous qui condamnez plus volontiers les voleurs de pommes que les bandits en col blanc ! C'est vrai, ça. A mon image je vous ai faits, tous à mon image, alors comment ça se fait que les uns dorment dans la rue et que les autres pètent dans la soie ? Comment ça se fait que les petits voleurs écopent de la peine maximale, tandis que les riches volent à qui mieux mieux sans être inquiétés ? Je suis présent dans les uns comme dans les autres. Que dites-vous ? Je suis schizophrène ? Oh, là, là, ces grands mots que vous employez ! encore un truc qui vient du Viennois, si je ne me trompe. C'est fou ce que ce type imprègne votre vocabulaire. Mais laissez-moi le temps de consulter Monsieur Google pour vérifier le sens de ce mot. Je réfléchis. Voilà, voilà... finalement, je me dis que vous n'avez pas tort: je suis schizophrène (quel mot détestable !) pourtant, mon ambition était de vous entendre dire: "il est sévère, mais juste" comme vous disiez de votre maîtresse d'école quand vous étiez petits, vous vous souvenez ?

Je vais vous faire une confidence : mon Paradis, au début, je l'ai peuplé de malheureux, de va-nu-pieds, de voleurs de pommes. Ils me faisaient pitié, ces petits oiseaux tombés du nid. Et puis, voilà que les anges se sont plaints: il paraît que les pauvres sentent mauvais; ils sont délicats, les anges, et puis ils étaient les porte-parole des honnêtes propres sur eux qui sentent tellement bon. Seigneur, venez vous rendre compte par vous-mêmes, ils m'ont dit. J'y suis allé, c'était terrible. Alors, j'ai donné des ordres à Saint-Pierre : les voleurs mal foutus, mal vêtus, mal embouchés, en enfer ! ce sont des voleurs, après tout ! et les autres ? eh bien les autres, je me suis dit que Satan n'avait pas besoin de faire cuire dans ses marmites des gens qui sentent bon. L'odeur qui se dégage de la viande grillée est la même, tandis que chez moi, où l'air est pur, c'est différent. Au fond, ils ne sont pas si nombreux, les grands voleurs, tandis que les Gavroche, ils pullulent !

Ah, mes chers petits ! c'est vrai que je n'ai jamais volé, mais je m'accommode finalement de certains voleurs, comme vous le faites vous-mêmes. J'ai honte, encore une fois, je vous demande pardon, c'est ma faute, si vous en êtes là. schizophrène je suis, schizophrène je vous ai faits. Les grands spoliateurs bien pensants vous le répètent, comme je le fais moi-même : tu ne voleras pas ! C'est net, c'est clair, c'est sans appel. Je vous demande pardon, mais je n'ai aucune solution. Je ne vais quand-même pas revenir sur Mes commandements et dire: si tu as faim, tu peux voler, ce ne serait pas sérieux... Qu'est-ce que vous dites ? je pourrais nourrir ceux qui ont faim ? attendez; on n'est plus aux temps antiques ! Vous voyez une pluie de nourriture sur vos villes et même sur vos campagnes ? la cohue, les carambolages, les crêpages de chignons ? Non, mes pauvres petits, je vous demande pardon, mais je suis incapable de réparer mes fautes originelles, pas plus celle-là que les autres !!!

Les plus grands voleurs prétendent aux plus hautes fonctions !!!