Le roi Nibelung et le roi Shilbung
Après son aventure avec le dragon, Siegfried se remit à la tâche. Il n'était pas venu jusqu'à ce col pour tuer un dragon, mais pour chercher du charbon de bois. C'était ça son devoir, c'est cela que lui avaient demandé les compagnons de Mime. Tuer le dragon n'avait été qu'un intermède.
Il se remit donc en route, suivant ce col et appelant le charbonnier. Le soir tomba, puis la nuit. Siegfried s'égara et se retrouva dans une forêt. Il n'y voyait goutte. Soudain, il entendit des voix au-dessus de lui. Il gravit silencieusement la pente et aperçut en contre-bas, des lumières, des flambeaux. Il y avait là une caverne et des hommes vêtus de longs manteaux à capuche sortaient deux par deux de cette caverne, portant sur des brancards des coffres à trésor. Ils ouvraient ces coffres et renversaient l'or au milieu de l'esplanade comme si c'était du gravier. De plus en plus d'hommes arrivaient et le tas d'or ne cessait de grandir. A la fin, les hommes en gris se placèrent en ligne contre la falaise et rentrèrent leurs mains dans leurs manches, l'ombre de leurs capuches tombait sur leurs visages. A ce moment, deux homme royalement vêtus sortirent de la caverne et s'accroupirent sur le tas d'or.
Le premier dit: Combien ?
Le second répondit: beaucoup.
Le premier: ça fait beaucoup.
Le second: Oui, ça fait beaucoup.
Le premier : mais ça fait combien?
et ainsi de suite. Cette conversation amusait Siegfried. C'était comme si deux comédiens accroupis déclamaient une pièce à laquelle ils ne comprenaient rien et à laquelle, d'ailleurs, il n'y avait rien à comprendre. Ne pouvant se retenir, il éclata de rire. Alors, les deux se turent. Ils portèrent la main à leur épée, sans toutefois la sortir du fourreau. Il jetèrent un regard noir dans la direction de Siegfried.
-Quelqu'un a ri, dit le premier.
-Si tu le dis, concéda l'autre.
-Je ne dis que ce qui est, dit le premier.
-Et je ne fais que confirmer ce que tu dis, rétorqua l'autre.
Alors, Siegfried quitta son poste d'observation, s'approcha d'eux et déposant ses deux paniers à charbon qui étaient toujours vide il tendit la main aux deux rois de comédie.
-Je suis Siegfried, dit-il. Il avait appris de Mime qu'il faut se présenter d'abord et présenter sa requête ensuite. Les deux ne répondirent pas. Ils ne prirent pas sa main non plus.
-Je ne veux pas vous déranger dans vos activités, poursuivit-il, ce que vous faites ne me regarde pas, mais votre conversation était si drôle que j'ai pensé vous faire plaisir en vous montrant combien elle me plaisait.
Mais cela ne les faisait pas rire, eux, au contraire; Ils lançaient à Siegfried des regards noirs.
-On rit si on veut, poursuivit Siegfried, et celui qui ne rit pas ne sera pas rossé pour autant. Mais vous pouvez peut-être m'aider: je cherche le charbonnier. Je le cherche depuis ce matin et durant cette journée, j'ai vécu toutes sortes d'aventures, mais je n'ai pas trouvé le charbonnier. Or, mon travail, c'est de rapporter du charbon de bois. Les deux compères continuaient de le fixer puis ils échangèrent des murmures du bout des lèvres. Finalement, le premier dit: "qui que tu sois, tu tombes à pic. Veux-tu nous faire plaisir?"
-Volontiers, dit Siegfried, si vous me dites où est le charbonnier.